
Dans les années 1990, à Abidjan, je dirigeais plusieurs bulletins et magazines édités par l’Eglise. C’est là que j’ai fait la connaissance de Didier. Je lui ai passé commande de plusieurs dizaines de dessins pour illustrer les journaux dont j’avais la charge. Parce qu’un dessin a parfois plus d’efficacité qu’une photo pour attirer l’attention sur le contenu d’un article. L’argument du prix entrait aussi en ligne de compte : « un petit chat attrape des petites souris », rappelait en riant Didier. Un petit dessinateur demande de petits tarifs, il ne se prend pas pour un Michel-Ange ! Un dessin coûtait moins cher que les droits de reproduction d’une photo d’actualité. En 2004, mes supérieurs m’ont ramené en Europe. Désormais, Didier et moi correspondons par internet. Il a parfois la joie de m’annoncer qu’on vient de lui confier des travaux dans telle église… C’est grâce aux détails et aux photos qu’il m’a fournis que j’ai pu composer cet article.

Depuis des années, les chrétiens du village de Niamoin (dans le nord de la Côte d’Ivoire) se réunissaient, chaque dimanche, dans une chapelle en terre, couverte d’un toit de chaume. Leurs cases étaient construites avec ces mêmes matériaux bon marché mais précaires et fragiles : cela nécessitait, chaque année, de nombreux travaux d’entretien. Puis le village a vu apparaître et se multiplier les maisons en dur, avec murs crépis en ciment et toit de tôle. Alors les chrétiens ont estimé que l’heure était venue de passer à une chapelle construite avec ces matériaux modernes et plus durables.
C’est alors qu’Annalisa est entrée en action. Annalisa est une laïque missionnaire italienne, qui aide la paroisse de Bouna et les nombreux villages qui en dépendent (dont Niamoin). Elle a expliqué qu’avec quelques centaines d’euros on pouvait faire venir un peintre qui représenterait, sur les murs de la nouvelle église, des scènes religieuses. Cela rendrait l’église plus belle, plus attirante et plus priante. Elle a même dit qu’elle connaissait un peintre, à Abidjan, dénommé Didier Okingni, qui avait de l’expérience car il avait déjà décoré plusieurs églises ou chapelles à travers toute la Côte d’Ivoire. Il demandait des tarifs raisonnables, comme le prouvait le fait que les Pères continuaient de lui confier du travail.
Annalisa a demandé à Didier Okingni un devis… et l’accord sur les conditions financières a pu se faire. C’est ainsi qu’en octobre 2013, Didier s’est rendu à Niamoin, dans le pays profond, à 700 km d’Abidjan. Il a emmené avec lui un camarade pour l’aider car on lui avait fixé une date limite pour livrer son travail : fin novembre. Il a beaucoup écouté Annalisa, le catéchiste, le chef chrétien (sous d’autres cieux, on parle de président du Conseil paroissial)… et les chrétiens qui ont voulu s’exprimer. Tous ont pu préciser leurs attentes et leurs souhaits.

Puisque la chapelle de ce village est dédiée au Christ-Roi de l’univers, il fallait représenter le Christ au centre du mur qui est derrière l’autel. Bien sûr, on allait le revêtir des habits traditionnels de l’endroit, ceux qu’on ne sort que les jours de fête ! Mais le Christ est inséparable, aujourd’hui, du Père et du Saint-Esprit : il fallait rendre visible cette vérité de foi. De plus, le Christ sans ses apôtres, c’est inconcevable : il a voulu se les associer sur la terre, il faut respecter ce choix qui continue au ciel. En outre, puisque le Christ règne au ciel, il est entouré de saints. Les chrétiens ont indiqué les saints qu’ils voulaient voir représentés : la sainte Vierge, bien sûr, mais aussi Jean-Paul II et Mère Teresa, ainsi que les saintes Anuarite, Bakhita et Bakandja. Sans oublier le Curé d’Ars.
Puis on a pensé à des dessins moins importants sur les murs latéraux. Le catéchiste voulait des scènes de vie qui montrent comment se comporte un bon chrétien : il avait en tête une visée pédagogique. D’abord, le bon chrétien participe aux travaux communautaires de tout le village, et en particulier dans le champ de l’église. Depuis toujours la tradition exige que tous les travailleurs se regroupent et labourent, à tour de rôle, le champ de chacun. Quant au champ collectif de l’église, il fournit l’argent dont la communauté a besoin : les produits de ce champ sont vendus au profit de l’église. Vu que les chrétiens ont fort peu d’argent liquide, ils répugnent à payer des cotisations, mais ils donnent volontiers des journées de travail… Le catéchiste tenait aussi à montrer la chorale. Elle soude la communauté. Il a promis de s’appuyer sur ces dessins pour rendre ses homélies encore plus concrètes.

Tout a pu être fini fin novembre, pour que la fête du Christ-Roi serve à inaugurer le nouveau lieu de culte. Tout le monde a apprécié ces œuvres aux couleurs vives… surtout les chrétiens des alentours, dont les églises ne bénéficient pas de tels ornements. Ces peintures sont faciles à comprendre ; elles suscitent des commentaires.
Didier Okingni, lui aussi, a été fort satisfait. Il a été très honoré qu’on fasse appel à ses talents. Bien sûr, il a apprécié la somme d’argent qu’on lui a remise. Mais c’est un chrétien convaincu… et il se réjouit de contribuer ainsi à l’évangélisation de ses frères du Nord, en leur fournissant un message qui les aidera à mieux prier et à vivre en chrétiens.