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Société des Missions Africaines de Strasbourg
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La SMA mène diverses actions en faveur de la santé, de la condition féminine et de l’éducation.

Le matin de Pâques chez Marc
Article mis en ligne le 12 mai 2015
dernière modification le 26 juillet 2020

par Jean-Pierre Frey

Le matin de Pâques chez Marc [1], ou le Dieu « off limits » [2] et hors frontières [3].

Oui, « off limits », et enfin libre comme avant, il y a longtemps… Il a laissé ses limites humaines avec les bandelettes au tombeau, les deux étant devenus inutiles. Saisi par sa nouvelle identité, il n’est pas facile à rencontrer en ce matin. Car il s’est « relevé » à l’aube-même, avant que ces pieuses « filles de Jérusalem » n’aillent à sa rencontre.
Le choc est rude lorsqu’elles voient le tombeau ouvert . Ce qu’elles vont découvrir va littéralement les déboussoler, selon Marc, au point qu’elles vont s’enfuir et, dans leur affolement, elles oublieront même de transmettre le message de l’homme en blanc : Allez dire à Pierre et à ses compagnons qu’il les attend en Galilée. Oui, en Galilée… des nations.

Et moi, ignare lecteur, un tantinet libre penseur, je me pose la question : mais pourquoi la Galilée, puisqu’on est à Jérusalem et que le Jésus de Luc [4] et Jean [5] s’accommode très bien de faire partir la mission de là. Mais pour le scribe du Royaume, la mission est partie d’ailleurs. Il est vrai que Matthieu, le scribe du Royaume, leur fait rencontrer le Maître en Galilée. Oui ! La Galilée des nations…

Réflexion faite je me dis : il y a anguille théologique sous roche… Et de me poser la question : et si c’était Matthieu qui tenait la bonne piste ? En effet, c’est en Galilée que Jésus a rassemblé les onze pour les envoyer en mission, toujours ailleurs et au monde entier. Ce qui veut dire que Matthieu, qui suit Marc, son modèle, voit cet envoi comme un élargissement du champ apostolique initial, celui qui a commencé au Lac et a continué le jour d’après, à Capharnaüm, pour s’étendre ensuite au-delà de « cet ailleurs », au monde entier. Un retour aux sources en somme.

Et en Marc, le matin du 3e jour, Pierre et ses compagnons le cherchent et le trouvent. Ils lui disent : « Ils t’attendent [6], qui « monterait » vers Jérusalem comme Jésus l’a fait avec ses apôtres pour un dernier témoignage sur la croix et une nouvelle dynamique au matin de la première Pâque.

Et si c’était aujourd’hui qu’une fois de plus nous soyons appelés à cheminer avec lui à partir de la Galilée vers les problèmes de notre monde, le monde d’aujourd’hui… Pour activer et réactiver la mémoire des évangiles comme une anamnèse [7] - mémoire renouvelée - dans la fidélité à ses paroles pour « l’aujourd’hui » (hodie) de nos vies.
Alors, plus que jamais, notre dynamique missionnaire viendrait des évangiles et des autres textes de l’Écriture. A nous précisément de les « réactiver », je dirais de les « télécharger » pour qu’ils ne restent pas « lettres mortes », obsolètes ou inadaptés à notre monde. Hors-jeu, en un mot.

Il est nécessaire de préciser ici. Quand Jésus entre dans la phase finale de la semaine sainte, Dieu se tait. Il se tait à Gethsémani et il se tait sur la croix. Dieu se tait pour que le Fils assume entièrement et de sa propre dynamique l’entrée dans le courant qui l’entrainera à la mort, parce qu’il a déjà fait le don de sa vie. Il a déjà assumé la rupture et la séparation entre Dieu et l’homme pécheur pour la vaincre et l’effacer par la libération au matin de Pâques. C’est l’œuvre du Père. Et beaucoup s’étonnent ou souffrent de ce silence de Dieu qui continue dans leurs vies et leur mission propres.

Là se trouve tout le sens de la mort, ou mieux du don de la vie de Jésus en cette semaine sainte. Pour nous libérer de la mort, il fallait qu’il plonge lui-même dans la mort pour lui échapper et devenir ce qu’il a toujours été, le Seigneur des vivants. Off limits de la servitude, dès le 3e jour. Je crois que c’est Jean-Paul II qui a appelé la culture occidentale une culture de mort… A nous de devenir et d’être des hommes de lumière, libérés à notre tour de la mort.

Il « reste » cependant ces mots étranges qui me trottent dans la tête : hodie, ou l’aujourd’hui de Dieu. Ego hodie genui te [8], comme dit le Psaume 2, l’anamnèse ou la mémoire réactivée et « la mystagogie [9] » ou la célébration des mystères… C’est à cela que nous sommes invités à nous engager à chaque Pâque. Il faut pour cela « retourner » (anamnèse) aujourd’hui même (hodie) en Galilée, la Galilée de nations, et prendre la route derrière le Maître afin de témoigner et célébrer les mystères du Royaume (mystagogie) qui, comme la graine jetée en terre, est en train de germer pour le monde d’aujourd’hui. C’est cet aujourd’hui qui doit devenir « une heureuse nouvelle ».

Les clés du Royaume à annoncer se réduisent à deux mots : heureux serez-vous si vous faites cela en mon nom . Heureux, avec ses synonymes, cousins ou cousines, qui gravitent autour du même sens : le bonheur, la joie, la grâce [10]… tous plus ou moins issus de la même souche ou racine hébraïque [11]. Ainsi, on nous dit :
Oui ! (bien)heureuse est celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur [12] !
Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux [13].
Heureux qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, il m’accueille moi-même [14].
Heureux quiconque aura laissé maison, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom ; il recevra beaucoup plus et, en partage, la vie éternelle [15].
Heureux si deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux [16].
Oui, heureux celui a reconnu et accueilli l’étranger et l’a vêtu parce qu’’il était nu [17].
Heureux êtes-vous, les bénis de mon Père[(Mt 25, 40.]].
Alors nous serons « heureux » et comblés de grâce, envahis de l’allégresse si chère au pape François au milieu de ses loups. Souvent, cela a l’air de gestes mineurs, alors que ce sont les essentiels de l’annonce « d’aujourd’hui ».

Nous proclamons une bonne nouvelle parce que nous l’avons vue sous mille formes :
accueillir en son nom ;
nous réunir en son nom ;
partager en son nom avec l’un de ces plus petits qui sont ses frères ;
rompre le pain en son nom. Voir les disciples d’Emmaüs [18] : Ils ne restèrent pas à l’endroit en vénération du pain rompu comme cela se fait couramment, mais ils partirent en hâte annoncer la nouvelle du Christ ressuscité. Leçon : il faut savoir rencontrer le Christ vivant dans sa parole de vie.
Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment au temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité de cœur [19].

Car telle sera l’heureuse nouvelle à proclamer et à vivre dans l’allégresse et la gratuité, et peu importe d’où nous sommes venus. Ils formèrent ainsi la première vraie communauté de disciples.

« Il ne faut pas chercher Dieu, là où il n’est pas ». C’est une des leçons de ce matin de Pâques pour les femmes et les disciples d’Emmaüs.