
par Jean-Marie Guillaume
La Mission diversifiée dans la simplicité
Albert Lirot est décédé à l’Ephad des Missions Africaines de Saint-Pierre le 23 février 2017, quelques semaines avant ses 80 ans. L’évangile [1] qui a été proclamé, au jour de ses funérailles, le 27 février, décrivait le regard d’amour de Jésus sur celui que la tradition chrétienne a appelé « le jeune homme riche » : « Jésus posa sur lui son regard, et il l’aima ». Albert n’a probablement jamais douté du regard de Jésus sur sa personne et de sa fidélité, alors qu’il trouvait parfois difficile de s’appuyer sur la confiance de ceux et celles que son cheminement l’a amené à côtoyer.
En dehors d’une famille
À la fin de son long cursus de formation, dans sa réponse à l’appel qui a fait de lui un prêtre missionnaire, Albert était prêt comme le jeune homme de l’évangile : « Maître, tout cela je l’ai observé depuis ma jeunesse ». La joie ressentie au jour de l’ordination sacerdotale est le signe de ce regard d’amour posé sur lui par Jésus. Mais la comparaison avec cet épisode de l’évangile s’arrête là. Jésus ne pouvait pas demander à Albert de vendre ses biens et de les distribuer aux pauvres, car Albert n’avait pas de biens. Il n’avait même pas de maison familiale pour y passer son enfance. Orphelin très tôt, il est d’abord chez son grand-père. Lorsque celui-ci décède en 1940, Albert, qui a trois ans, est accueilli, avec sa sœur Madeleine, un peu plus âgée que lui, à l’orphelinat de Guebwiller tenu par les Sœurs du Très Saint Sauveur de Niederbronn, congrégation dont sa tante religieuse faisait partie. Les Sœurs de Guebwiller l’ont toujours accueilli durant les vacances et lors de ses congés d’Afrique. Elles l’ont toujours accompagné… Sœur Odile, qui l’a introduit dans sa propre famille, était là au jour de ses funérailles. De son enfance, hors d’un contexte familial naturel, Albert a gardé en lui un manque, comme une blessure qui ne guérit pas. Comme chaque personne, il a eu à travailler avec la personnalité qui lui était propre, à revenir sur lui-même, à compter sur la miséricorde du Seigneur ; ce fut sans doute la plus grande lutte de sa vie. À chaque tournant de sa vie, fidèle à son premier appel, déterminé à exercer le sacerdoce, Albert s’est engagé dans un apostolat nouveau.
Temps de formation
L’appel à suivre Jésus, il l’a ressenti très tôt, puisqu’à l’âge de 13 ans, en octobre 1950, il rejoint l’école apostolique des Missions Africaines à St-Pierre pour la classe de sixième. Il est admis ensuite à l’école St Arbogast à Haguenau jusqu’à la fin de ses études secondaires en juin 1956, et pour la philosophie au Zinswald (1956-1958). En septembre 1958, il entre au noviciat à Chanly, en Belgique. Il y prononce son premier serment qui le fait membre de la Société des Missions Africaines le 16 juillet 1959. Il fait sa première année de théologie à la maison des Missions Africaines de St-Pierre qui, d’école apostolique, avait été transformée en grand séminaire. Il effectue ensuite son service militaire, d’abord à la 3e compagnie du 91ème régiment d’infanterie à Charleville-Mézières, où il arrive le 1er septembre 1960. Il livre ses premières impressions dès le 7 septembre : « Au début, c’est bien dur, on en voit de toutes les couleurs. Bien souvent, il faut être philosophe et avaler en silence. Pour le moment le moral est toujours encore bon… Nous sommes fortement avantagés. Ici au régiment, nous sommes une vingtaine de séminaristes et chaque soir, séminaristes, jocistes, militants se retrouvent ensemble à la chapelle auprès du Seigneur ». Après ses « classes », il part pour l’Algérie le 21 janvier 1961, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, dans une unité basée à Zegla (Oranie) où il séjourne jusqu’en septembre 1961. Il est ensuite transféré à Oran où il reste jusqu’en septembre 1962. Il a quelques difficultés à s’adapter à la vie militaire en Algérie, mais il reste optimiste, apprécie l’ambiance de camaraderie qui l’entoure, tout en se posant beaucoup de questions sur le bien-fondé de cette « drôle de guerre ». Son régiment cependant ne semble pas avoir été amené à entrer en des conflits violents. À la fin de son service, son aumônier militaire relève qu’il est « bien disposé sur le plan religieux, bien apprécié de ses chefs et de ses camarades, mais un peu timoré dans l’action apostolique ».
Libéré de ses obligations militaires, Albert reprend ses études de théologie qui l’amènent à l’ordination sacerdotale. Il prononce son serment perpétuel le 30 juin 1964 ; il est ordonné prêtre, en l’église paroissiale de St-Pierre par Mgr Strebler le 7 mars 1965. Il commence ses activités pastorales par une année d’initiation (1965-66) à la paroisse du Sacré Cœur de Lyon. Il suit le programme organisé par le diocèse de Lyon pour les jeunes prêtres nouvellement ordonnés, composé d’engagements pratiques, de sessions de partage et de réflexion. Il apprend beaucoup sur lui-même, il est prêt à partir en mission plein de joie et de confiance.
Missionnaire en Afrique. Togo et Côte d’Ivoire
Le 1er juillet 1966, il reçoit sa nomination pour le diocèse d’Atakpamé. C’est donc le Togo, ancienne terre de Mgr Strebler qui l’avait ordonné prêtre, qui l’accueille. Mgr Atakpah le nomme vicaire coopérateur à la paroisse de Tomégbé avec, comme tâche principale, l’instruction catéchétique dans les écoles. Albert, d’après ses stages de moniteur de colonies de vacances dans le cadre de l’établissement de Guebwiller, avait bien réussi avec les jeunes. Les écoles dans le secteur du Litimé sont nombreuses et en pleine expansion. À Tomégbé, il est accueilli et épaulé par des missionnaires expérimentés comme le Père Cottez, dont l’esprit d’initiative et l’optimisme n’ont jamais failli. Son apostolat cependant ne se limite pas aux écoles et il prend plaisir à visiter les différents villages rattachés à la paroisse. Mais, fatigué par une activité intense suite à des conflits très durs avec les jeunes qui n’acceptent pas ses interventions trop brusques, il se voit dans l’obligation de quitter le Togo au bout de quatre ans.
Pourtant, il ne perd pas courage. Il suit un recyclage d’une année à Obourg, en Belgique et repart en mission en Côte d’Ivoire, dans le diocèse d’Abengourou. Il est nommé au nord du diocèse, à Tabagne, avec le Père Gilbert Antony. Il s’agit d’une nouvelle fondation, la joie de la nouveauté et de la découverte. « Leur apostolat consiste à visiter les 45 villages de la paroisse, dit un petit rapport daté de 1978, à former les catéchistes, enseigner la catéchèse, à initier fidèles et catéchumènes aux sacrements et à faire l’infirmier de brousse de première urgence ». Il y faut beaucoup de patience et de résistance, une patience qui n’est pas le point dominant chez Albert, mais Tabagne aura bénéficié de son zèle pendant une dizaine d’années.
Au service du diocèse de Strasbourg
Le 3 septembre 1982, il revient définitivement en France, mais ne renonce pas au ministère pastoral qu’il apprécie beaucoup et qui l’épanouit. Le diocèse de Strasbourg accepte de lui confier un service adapté à ses aspirations. En juin 1983, il est nommé prêtre coopérateur, à mi-temps dans les deux paroisses St-Maurice et St-Bernard de Strasbourg, avec résidence à la maison provinciale Rue Le Nôtre. Son ministère consiste principalement à assurer la prédication un dimanche sur deux, à assurer deux heures de catéchèse à l’école primaire du Conseil des XV, à suivre des équipes de préparation à la profession de foi et à la confirmation, et à participer à certaines rencontres avec les catéchistes et parents etc. Mais le partage entre deux entités paroissiales autonomes et un apostolat en ville ne lui conviennent pas. Il demande un service dans une paroisse rurale, et c’est à Neubois, dans le doyenné de Villé, qu’il est nommé. Il habite au presbytère, qu’on vient de rénover, tout en étant rattaché à la communauté sma de St-Pierre. Après deux ans à ce service paroissial, il est rattaché à celle de Haguenau, d’où il assure un ministère pastoral ponctuel dans les paroisses voisines, principalement dans le secteur de Gumbrechtshoffen-Zinswiller.
Il obtient finalement de partir dans le Haut-Rhin, la région de son enfance. Le 27 septembre 1991, il est nommé « prêtre coopérateur au secteur paroissial de Friesen-Hindlingen-Mertzen. Il doit prendre part au travail pastoral inter-paroissial en lien avec le sous-secteur de la Largue et le doyenné de Dannemarie. Il devra aussi prendre l’une ou l’autre responsabilité dans la formation des laïcs : par exemple, dans le domaine de la liturgie ou de la catéchèse, il travaillera en lien avec le Conseil de Pastorale de la Vallée et avec l’aumônerie du collège.
Pendant 15 ans, il réside au presbytère de Mertzen et œuvre dans le secteur paroissial local avec zèle. Il aime célébrer et proclamer l’évangile de sa voix claire et puissante qui peut remplir les églises sans l’aide de microphones ni haut-parleurs. Les paroissiens qu’il a servis ont beaucoup apprécié sa simplicité, sa manière dépouillée de vivre et sa proximité. Albert est resté fidèle à la famille missionnaire qui l’a accueilli. Il manquait rarement les réunions et les célébrations organisées dans le cadre de la SMA.
Retiré aux Missions Africaines à St-Pierre
N’arrivant plus à se situer pacifiquement face à certains conflits, il doit renoncer à exercer un ministère paroissial suivi. Il a 69 ans. C’est pour lui une épreuve très difficile dont il n’a jamais pu se remettre. Il rejoint la communauté sma de St-Pierre le 8 décembre 2006, apportant avec lui sa déception de ne pouvoir continuer le ministère pastoral auquel il se sentait appelé. Sa santé se fragilise de plus en plus. Malade, il n’a pas pu participer à la célébration de son jubilé d’or, organisée au Zinswald pour lui et plusieurs autres confrères, il y a deux ans.
La première lecture , qui était celle de la liturgie du jour, proclamée lors de ses funérailles rappelait que la miséricorde du Seigneur est grande. Le Seigneur aura accueilli Albert dans l’offrande de sa vie, dans son effort pour vivre selon l’appel qui lui a été adressé. Que la miséricorde du Seigneur soit grande aussi pour toutes les personnes qui auront été témoins de la vie parfois tourmentée de notre confrère.