
par Nestor Nongo Aziagbia
Nous devons cette expression à Mgr Melchior de Marion Brésillac. C’est l’une des quatre résolutions qu’il avait prises lors d’une retraite qu’il fit juste avant d’embarquer pour son premier séjour à Pondichéry, en Inde [1]. Il manifesta par ces résolutions un engagement à toute épreuve, une entière disponibilité à servir les causes de la mission. Elles témoignèrent surtout des convictions qui animèrent le jeune missionnaire et l’esprit dans lequel il souhaitait rendre compte de sa foi.
« Etre missionnaire du fond de mon être… » Telle fut aussi la détermination qui caractérisa le Père Ignace Lissner, originaire de Wolxheim, en Alsace, lorsqu’il répondit à l’appel de ses Supérieurs. « Il fut désigné essentiellement pour quêter et faire des conférences sur les missions aux Etats-Unis et au Canada » [2]. Au-delà de la promotion missionnaire et vocationnelle, il s’activait dans l’établissement d’une nouvelle structure plus à même de porter avec efficacité l’œuvre auprès des Noirs d’Amérique. Ce fut la naissance de ce qui devint plus tard la Province des Etats-Unis, dont il fut le Fondateur et le premier Provincial de 1941 à 1946.
L’apostolat auprès des Noirs des Etats-Unis ouvrit une nouvelle étape dans la perception missionnaire au sein de la Société des Missions Africaines. C’est le passage d’une compréhension exclusivement territoriale de la mission à un apostolat plus ouvert et universel. Le projet d’extension de la mission en faveur des Noirs des Etats-Unis fut adopté par ovation à l’Assemblée Générale de 1907, en dépit de la farouche opposition de Mgr Pellet.
Dans un contexte de ségrégation raciale, avec tous les préjudices sociaux que comportait ce système, le Père Lissner s’était investi dans le développement intégral des Noirs. Le succès de ce projet dépendait de sa capacité à surmonter les écueils qui jonchaient son passage : « En effet, en dehors de la froideur du clergé local et des menaces permanentes du Ku Klux Klan, Ignace Lissner devait se confronter à un manque chronique de finances et de personnel » [3]. Toutefois, il pouvait compter sur l’indéfectible soutien de ses confrères, l’encouragement de Mgr J. Keily, évêque de Savannah, lors de la phase d’élaboration et d’établissement du projet, sans oublier l’appui spirituel et matériel fourni par Sœur Katherine Drexel, riche héritière d’une famille fortunée de Philadelphie, en Pennsylvanie.
Le Père Lissner établit non seulement des églises, mais aussi des écoles pour l’éducation et la formation de cette population défavorisée et négligée. C’est dans ce contexte qu’il établit en 1916, avec Elisabeth Williams, la Congrégation des Servantes du Cœur-Très-Pur de Marie pour les femmes d’origine africaine en Amérique. Un projet identique pour un clergé noir réussit moins bien et le séminaire dut fermer ses portes. L’échec fut masqué par l’unique ordination du Père Joseph-Alexander John. Par ses différentes initiatives, le Père Lissner poursuivit dans l’attention aux plus abandonnés le charisme du Fondateur des Missions Africaines. Il se dévoua entièrement à la construction de la communauté afro-américaine.
Cet apôtre des Noirs est aujourd’hui remis à l’honneur. Il est devenu une grande figure populaire à cause de ses engagements au profit des droits civiques et ses préoccupations relatives à la discrimination raciale. Cet intérêt croissant se manifeste dans les recherches académiques dont il fait de plus en plus l’objet.
Dans la fidélité à l’Evangile et au Fondateur, la Province des Etats-Unis est aujourd’hui garante d’une riche tradition qui se perpétue auprès de la communauté afro-américaine dans le diocèse de Newark, dans l’Etat du New Jersey. C’est ainsi qu’elle a établi depuis 1979 la paroisse sma Queen of Angels dans une circonscription de la ville. Quoique confrontée à de nombreux défis socio-économiques, cette communauté est dynamique au niveau de l’expression de sa foi à travers une liturgie vivante et enthousiaste.
Etre missionnaire du fond de son être ne signifie en rien la reproduction d’un archétype situé dans les temps immémoriaux. Il engage plutôt notre inventivité dans la fidélité et le témoignage que nous donnons aujourd’hui. Ceci implique de notre part une adéquation entre l’idéal que nous poursuivons et sa traduction dans les faits. C’est pour cela que le missionnaire, en tant que signe de la présence de Dieu parmi ses frères, doit savoir scruter les signes des temps pour les adapter à leurs besoins [4].