
Sans doute ignorez-vous que la corne de licorne vaut tous les trésors du monde ? Encore faut-il savoir ce qu’est une licorne ! C’est une sorte de cheval sauvage qui porte au milieu du front une corne extraordinaire. Seule une pucelle, ajoute la croyance, peut dompter cet animal fantastique !
Il est particulièrement difficile d’apercevoir une licorne, car l’animal est très craintif. Toutefois, à Strasbourg, dans le trésor de la Ville, on gardait une telle corne dans le coffre-fort du Pfennigturm [1], la plus grande jamais décrite. Elle ne mesurait pas moins de huit pieds de long et sa couleur était comme celle de l’ivoire. Tout le monde la considérait comme un talisman magique.

A en croire la tradition, cette corne était un don que le roi Dagobert II avait fait à l’évêque de Strasbourg en l’année 640. Bien plus tard, au XIIIe siècle, quand l’évêque quitta Strasbourg pour se replier à Saverne, sa ville d’accueil prit comme emblème la licorne, qui figure encore et toujours dans ses armoiries.
Pendant des siècles, cette corne strasbourgeoise fut considérée comme un objet sacré, et on imagine facilement qu’elle fut gardée jalousement par les gardiens du Pfennigturm. Mais voilà qu’en l’année 1380, messire Rodolphe de Schauenburg, chanoine du grand chapitre de la cathédrale, voue une véritable dévotion à cette corne à laquelle on attribuait des vertus incroyables, comme celle de protéger du poison, et même de la peste, ce mal implacable qui était déjà apparu en ville en 1349.
Ainsi, pour se protéger de ce fléau qui faisait à nouveau des ravages dans les provinces éloignées, messire Rodolphe brisa le bout de la corne et le porta dès lors en sautoir autour du cou, persuadé que désormais plus aucun mal ne pourrait l’atteindre ! Mais cet acte « impie » finit par être découvert. Les chanoines constatèrent qu’il manquait un bout de la corne et que ce bout se trouvait au cou d’un des leurs. Ce fut un tollé général. Comment un chanoine pouvait-il croire en de telles fariboles ? En représailles, messire Rodolphe fut exclu du grand chapitre et tous les membres durent prêter serment de ne pas toucher à la corne de licorne et de refuser, à l’avenir, d’accueillir au sein du grand chapitre tout membre de la famille de Schauenburg.

Finalement, au XVIIe siècle, on s’aperçut que cette corne de licorne n’était en fait qu’une corne de narval et que, pour l’heure, personne n’avait encore pu s’emparer d’une corne de licorne ! Il n’empêche que si vous vous donnez la peine d’admirer les sculptures de la cathédrale de Strasbourg, vous verrez plusieurs représentations de cet animal fabuleux qui hante les esprits [2].